A son tour, Dagorwenn se leva pour s'asseoir sur l'estrade que Galenciriel utilise pour conter ses histoires (dont la renommée n'est plus à faire). A son passage, quelques gnomes et gobelins apprécièrent en fins connaisseurs ses formes qui apparaissaient sous ses vétements. Mais un regard de Galenciriel suffit à leur faire baisser les yeux. Dagorwenn, qui ne s'était apperçue de rien fixa un moment l'assemblée de ses étranges yeux de couleur orange pâle, signe distinctif des elfes gris.
"Comme vous le savez, je m'occupe depuis des années du marché de cette magnifique cité bénie des dieux...je connais la plupart d'entre vous et mon nom est au moins aussi connu que celui de Galenciriel dans le milieu. Pourtant, j'ai eu une vie avant d'atterrir ici..."
Elle sembla chercher un moment dans ses souvenirs puis reprit.
"Je suis née dans la communauté des elfes gris dans la forêt brumeuse. J'ai été initiée à la plupart de leurs rites et coutumes...on m'a apprit à lire dans les cieux, à interpréter les signes et les attitudes des vivants. J'étais destinée à devenir l'oracle de la communauté...c'est à dire guide spirituel, gardienne des traditions et juge suprême en quelque sorte. C'était le rang le plus envié de tous. Quand la vieille oracle sur le point de mourir, m'a désigné, mes parents étaient fous de joie. Tous étaient ravis...tous...sauf moi. Car être oracle signifie passer sa vie à méditer, enfermée dans la Maison Des Esprits (la résidence ancestrale de l'oracle)."
Elle laissa planer à nouveau un court silence.
"Or ça n'était pas mon désir, je voulais vivre, découvrir le monde, fonder une famille, rencontrer d'autres cultures! Car les elfes gris vivent dans la peur de l'étranger, on m'avait toujours apprit à me méfier des autres créatures, à les éviter si possible. J'ai fait part à ma famille de ma véritable ambition...je voulais devenir la première exploratrice parmi les elfes gris, enrichir notre encyclopédie du Savoir Elfique grâce à mes découvertes...Il ont d'abord cru à une plaisanterie de ma part, il ne m'ont pas pris au sérieux. Et je n'ai jamais eu le courage de m'opposer à mes parents, j'étais leur fierté! Ils parlaient de moi en termes si élogieux...je n'ai pas osé...
Le jour de la cérémonie d'investiture, toute la communauté était réunie, mes parents étaient au centre de toutes les attentions. Car, dans notre culture, les parents sont responsables des actions, bonnes ou mauvaises, de leurs enfants. Le statut de parent de l'oracle est nettement plus enviable que celui d'oracle lui-même.
Un elfe gris n'est reconnu par les siens qu'à partir du moment où sa progéniture apporte quelque chose à la communauté. J'allais donc sacrifier ma vie pour leur assurer respect et défèrence.
Je me souviens de ce jour comme si c'était hier...la cérémonie était presque achevée...je devais à présent me lever et dire devant toute la communauté ces quelques mots: "puissent les dieux avoir choisi le bon être parmi nous..." et d'autres paroles dont je ne me rappelle plus. A la place, je me suis excusée et j'ai dit que je refusait l'honneur qui m'était donné...tous ont criés au scandale. Ma mère s'est évanouie et mon père a détourné les yeux.
Un tribunal exceptionnel a été réuni et j'ai été condamnée à mort, sans que la parole ne me soit donnée pour me défendre. Je me suis enfuie sous une pluie de flêches (mon père faisait partie des archers) et d'injures."
Une larme coula sur sa joue, elle l'essuya d'un geste discret.
"Epuisée, j'ai rejoint un groupe de voyageurs et j'ai embarqué clandestinement à bord d'un navire. C'est ainsi que j'ai débarqué dans le port d'Amon tò Ryn. C'est également là que j'ai rencontré Meshar, aujourd'hui mon mari. Il n'était, à l'époque qu'un simple employé dont le travail était de veiller à la sécurité à bord des bateaux. Au lieu de me dénoncer aux autorités en tant que passager clandestin, il m'a aidé...alors que je n'avais personne vers qui me tourner. Je ne le remercierais jamais assez pour cela. Quelques années après, je me suis attelée à remonter le marché, autrefois florissant, mais qui était tombé à l'abandon."
"Voilà, vous connaissez tout de moi."